En dépit de l’engagement de la force française Barkhane au Mali, et de réelles victoires tactiques, la situation sécuritaire du pays reste très préoccupante. Les violences, attaques et embuscades contre les forces armées sont quotidiennes. Alors que le Qatar offre des blindés à l’armée malienne, l’état-major français s’interroge sur la suite des opérations.
Dans le désert malien, certains groupes djihadistes rémunèrent les jeunes désœuvrés 450 euros pour la pose d’un engin explosif ; 3 000, si la mine parvient à tuer sa cible. Autant dire que la livraison, fin décembre, de 24 véhicules blindés offerts par le Qatar à Bamako va soulager les efforts de l’armée malienne « évoluant dans les zones de mines et d’explosifs improvisés », selon le général Al Ghaffari, à la tête d’une délégation qatarie reçue dans la capitale malienne. « C’est un début et nos relations dans le domaine militaire vont s’améliorer, pas dans les semaines à venir, mais dans les prochains jours », a promis le haut gradé à cette occasion.
« Il y aura désormais une coopération permanente entre nos armées dans le domaine de la formation, de l’équipement des unités et des échanges entre militaires des deux pays », se sont félicités les officiels Maliens et qataris. « Par ce geste, décrypte le sociologue Mamadou Samaké, le Qatar montre clairement que le Mali fait partie de ses alliés dans la lutte antiterroriste au Sahel ». Doha, accusé par certains pays de soutenir le djihadisme international, entend ainsi réaffirmer avec force l’engagement de son émir, le cheikh Tamim ben Hamad al-Thani, qui avait assuré le 10 avril dernier à Donald Trump combattre toute forme de terrorisme.
Spirale de violence
Chassés par l’armée française, en janvier 2013, du nord du Mali, qui était tombé sous leur coupe au printemps 2012, les groupes djihadistes liés à Al-Qaïda se sont dispersés dans le reste du pays, principalement au centre et au sud, et le long de ses frontières avec le Niger et le Burkina Faso. Mais, loin de faiblir, la menace terroriste continue cinq ans plus tard de transformer le Mali en poudrière. En témoigne la mort d’une quinzaine de djihadistes fin décembre, tués par les militaires français engagés dans l’opération Barkhane. Un raid censé répondre à l’explosion des violences commises par les djihadistes, dont les incessantes attaques et embuscades font de nombreux morts et blessés parmi les soldats maliens.
Un raid qui s’inscrit, surtout, dans la lignée de la stratégie de l’armée tricolore au Mali, consistant à viser les leaders des groupes armés afin d’enrayer leur assise locale. C’est ainsi que la ministre française de la Défense, Florence Parly, s’est félicitée début décembre 2018 de l’élimination d’Amadou Koufa, le chef d’une puissante katiba régnant dans le centre du pays : « grâce à ce succès, nous désorganisons les réseaux terroristes et nous le faisons en nous attaquant au haut de la pyramide », a-t-elle déclaré. Mais si les têtes des groupes terroristes tombent, leur base reste ferme ; pour le journal Le Monde, on peut même dire qu’elle se consolide parmi la population locale, déchirée par de sanglantes tensions communautaires et interethniques.
Barkhane, une opération en mutation
En l’absence quasi totale de gouvernance de la part de l’État malien sur de larges parties de son territoire, et devant la succession de « victoires » teintées de regain de violences, les officiels Français sont contraints d’adapter l’opération Barkhane. Une force de 4 500 soldats, représentant un effort annuel de 700 millions d’euros qui, depuis quatre ans, et en dépit de l’affaiblissement des groupes terroristes, n’a pas réussi à ramener l’ordre et la sécurité au Mali. « Des logiques locales nous échappent », admettent des membres de l’état-major français auprès du Monde.
« Dans cette guerre contre-insurrectionnelle, explique au quotidien du soir le général Guibert, il s’agit pour nous et nos partenaires de gagner les cœurs et les esprits, mais cela reste très difficile. Les groupes armés terroristes savent qu’un jour nous partirons. Ils n’hésitent pas à prendre la population en otage, à enlever et à tuer ». « Les raisons fondamentales de la crise sont toujours là », reconnaît encore le général, la situation demeurant « difficile pour Barkhane, car l’accord d’Alger est au point mort ». Ne voyant pas « qui a intérêt légitime à sortir de cette crise », le militaire français estime cependant que la coordination de l’opération avec des groupes touareg « donne des résultats ».
Quoi qu’il en soit, l’opération Barkahne est appelée à évoluer, et devrait s’orienter vers des missions d’accompagnement, d’appui et d’entraînement des forces locales ; d’ici deux ans, l’ensemble des cadres de l’armée de terre malienne devraient être formés au partenariat opérationnel avec les forces des pays voisins. « Nous combattons de plus en plus avec nos partenaires, assure ainsi au Monde le général Delbos, commandant de l’état-major pour l’outremer et l’étranger, et la volonté de mettre en avant le lien politico-militaire est un changement de paradigme ». « Il faut rester humble », tranche pour sa part le général Guibert, selon qui « la solution ne sera pas militaire ». En attendant une hypothétique sortie de crise, la France, bien seule au Mali, a tout à gagner du soutien d’autres pays comme le Qatar.